EVENEMENT
Après un parcours boursier difficile depuis son introduction en 2000,
Artprice, leader mondial de l'information sur l'art, cartonne depuis le début
de l'année. Avec une augmentation de 450 % de son cours. Soit la plus belle
hausse de tout le marché boursier. Interview de Thierry Ehrmann, le Pdg
d'Artprice.
Comment vous expliquez l'explosion de votre cours de Bourse ?
Thierry Ehrmann, président du groupe Serveur : En fait, tout a commencé
le 19 janvier 2005 quand j'ai annoncé la création d'un système
de petites annonces normalisées sur mon site, Artprice.com, spécialisé
dans la cotation de l'art. Car les investisseurs ont tout de suite compris qu'il
s'agissait d'une véritable révolution sur ce marché.
Ce qui était vraiment révolutionnaire ?
Pour comprendre, il faut revenir sur le rôle d'Artprice sur le marché
de l'art. En fait, quand j'ai créé cette entreprise internet en
1987, les ventes d'art se faisaient uniquement par l'intermédiaire des
grands marchands et des galeries. C'était donc un marché d'initiés
avec seulement 500 000 clients dans le monde. Mais c'était aussi un marché
opaque.
Pourquoi un marché opaque ?
Parce que les vendeurs entretenaient le flou sur les uvres. Ce n'était
pas de l'escroquerie. Juste une façon d'embrouiller un peu le client pour
réaliser des marges plus importantes. Exemple : on vendait un tableau "au
tirage limité", mais sans connaître le nombre exact d'exemplaires
ou une statue "légèrement modifiée au XVIIIe siècle",
sans avoir de détails sur ces modifications. Bref, le client ne savait
pas vraiment ce qu'il achetait, ni sa valeur. Ce qui n'est plus le cas avec Artprice.
Ce qu'Artprice propose ?
Une transparence totale de l'information. Au départ, on a investi près
de 30 millions d'euros pour racheter de nombreuses sociétés et les
publications sur l'art du XVIe au XIXe siècle, soit 270 000 manuscrits.
Notre objectif: mettre en place une cote fiable de l'art sur internet. Avec des
critères reconnus et scientifiques : L'uvre a-t-elle été
exposée? Dans quelles galeries? Qui ont été les différents
propriétaires ? Dans quel contexte? Cette uvre a-t-elle fait l'objet
de commentaires ? Dans quelles publications? Le cadre a-t-il été
restauré? Où?... Même chose pour les artistes. On connaît
leur bio-
"On a classé 21 millions d'uvres de 306 000 artistes"
graphie, leurs expos, leurs mécènes, leurs uvres, leurs prix...
On a classé comme ça 21 millions d'uvres de 306 000 artistes
avec un code précis. Des banques de données enrichies au quotidien
par les 2 900 maisons de vente du monde.
Conséquences de ce référencement?
En normalisant le marché, on lui a permis d'exploser. Car n'importe quel
abonné d'Artprice a accès à des infos que seuls quatre ou
cinq spécialistes maîtrisaient dans le monde avant. Il ne peut donc
plus se faire avoir, pour une somme modique : 4 à 40 euros par mois...
De plus, avec internet, au lieu d'avoir 500 000 clients, le marché a été
élargi à plus de 50 millions de personnes ! Une révolution
qui n'a évidemment pas plu à tout le monde.
Vous avez rencontré des oppositions !
Bien sûr. Ça a même été une véritable
boucherie pendant neuf ans. On s'est battus avec les marchands d'art, les galeries,
qui refusaient cette transparence. A coups de procès. Et on continue d'ailleurs
à se battre. Mais je pense qu'on a gagné notre pari en mettant en
place notre système de petites annonces.
En quoi consistent ces petites annonces normalisées ?
On propose à nos abonnés de diffuser des petites annonces pour vendre
les uvres qu'ils détiennent. Des uvres qui sont forcément
référencées chez nous. Du coup, il y a une sécurité
absolue. De plus, le vendeur touche près de 900 000 clients potentiels
d'un coup, c'est-à-dire nos abonnés. Et pour les galeries, c'est
encore mieux: on leur propose de mettre leur stock en ligne. Soit des milliers
de tableaux qui n'auraient jamais trouvé preneur auprès de leurs
clients traditionnels, qui sont souvent limités à une centaine...
Et ce système a marché?
Plus que ça. Alors qu'on s'attendait à enregistrer 2 000 à
3 000 petites annonces, on en est déjà à plus de 35 000.
Et on pense atteindre rapidement les 72 000 par an. Ce qui est exceptionnel. D'autant
plus qu'on voit passer des Van Gogh, des Picasso, des Dali... Des uvres
majeures. Résultat : le volume des ventes a atteint plus de 500 millions
d'euros en quelques mois. Et on pense atteindre les 1 milliard d'ici la fin de
l'année. Du coup, Artprice réalisera bientôt 45 % des ventes
de Fine Art dans le monde. (en prenant pour référence le chiffre
d'affaires 2004 des 2 900 maisons de vente). Et c'est ce qui a fait exploser notre
cours de Bourse. Il a augmenté de 450 % en quelques mois ! Et c'est l'un
des plus beaux parcours boursier de l'année 2005.
Mais il faut dire que votre cours partait de très bas !
C'est vrai que notre cours était en dessous de 3 euros en janvier. Alors
qu'Artprice avait été introduit à 19 euros en 2000. Mais
on a subi une dégringolade importante pendant trois ans à cause
de problèmes techniques. En fait, 90 % des clients n'arrivaient pas à
surfer correctement sur notre site à cause de notre hébergeur qui
ne faisait pas son travail. Ce qui a freiné le développement d'Artprice.
Et puis, on a aussi subi le krach des valeurs technologiques. Même si, en
Europe, on reste une des rares valeurs internet à avoir survécu
à cette tempête.
Mais vous êtes encore largement en dessous de votre prix d'introduction
!
Oui, mais on devrait peut-être atteindre les 19 euros en fin d'année,
je l'espère. Ou au pire début 2006. On pense même remonter
à 50 euros fin 2006. Ce qui permettra à nos actionnaires de réaliser
de beaux profits.
Mais Artprice ne réalise que 2,4 millions d'euros de chiffre d'affaires
!
Oui, mais on a enregistré une augmentation de 63 % de notre chiffre d'affaires
au deuxième trimestre 2005. Et on pense cartonner en 2006. De plus, ce
chiffre d'affaires n'est pas représentatif de la valeur réelle de
l'entreprise... Comme notre valeur boursière d'ailleurs qui s'élève
à 60 millions d'euros.
A combien vous évaluez réellement votre entreprise?
Près de 3 milliards d'euros... Car sur le marché de l'art, la seule
chose qui compte, c'est le fichier clients. Toutes les grandes maisons de vente
comme Sotheby's ou Christie's, qui sont cotées en Bourse, se valorisent
comme ça. En fait, un client vaut entre 1 500 et 5 000 euros en fonction
des infos dont on dispose sur lui. Moi, j'ai 900 000 abonnés dans 220 pays
dont je connais tout : les préférences, les derniers achats et mêmes
les clics. En clair, si je veux vendre une compression de César de 1973,
je peux identifier tous les clients potentiels et les contacter par email dans
la minute... Ce qui n'a pas de prix.
Vos perspectives ?
On estime qu'à ce rythme on pourrait représenter 70 % du marché
de l'art fin 2006. Avec près de 8 000 petites annonces enregistrées
par jour.
Et ça ne vous tente pas de vendre Artprice?
Non, parce que je ne suis pas arrivé au bout de mon aventure. J'ai encore
des projets de développement pour cette entreprise. Ce qui me passionne.
Exemple : je lance, en ce moment, une télévision pour diffuser les
petites annonces des ventes. Une chaîne presque entièrement financée
par les annonceurs, qui devrait être diffusée aux Etats-Unis, en
Angleterre... Ce qui a encore fait bondir le titre de 22 %.
Et la médiatisation de votre Demeure du Chaos a joué un rôle
dans la hausse de votre cours?
Je ne sais pas. Je pense que ça a certainement crédibilisé
mon statut d'artiste dans le monde de l'art. Car cette maison du Chaos est une
uvre à part entière. Du coup, mes clients me font confiance.
Beaucoup sont même des actionnaires d'Artprice. Mais je pense surtout que
cette Demeure du Chaos m'a permis de développer Artprice. Car elle m'a
ouvert l'esprit. Elle m'a motivé. Et c'est ce qui m'a permis d'avoir l'idée
des petites annonces ou encore de la télé.
Propos recueillis par Maud Guillot
copyright ©2005 Nouvel Objectif Rhône-Alpes
Un Chaos à 2 millions d'euros
Météorites, murs peints en noir avec des traces de sang, avion écrasé
dans la cour, décombres, ferrailles guerrières, phrases étranges
écrites sur les murs, coulées de béton... Le siège
social d'Artprice à Saint-Romain-au-Mont-d'Or, à côté
de Lyon, a de quoi surprendre. En effet, le très provocateur Thierry Ehrmann
a entrepris depuis deux ans de "déconstruire" entièrement
son domaine, une maison du XVIe siècle qui s'étend sur 7000 m2 dans
un parc d'un hectare, pour en faire "la Demeure du Chaos". Une démarche
artistique inspirée des attentats du 11 septembre qui ont profondément
marqué ce patron. Depuis, avec une petite équipe d'artistes dont
le fameux Ben, il a ouvert un véritable chantier pour tout casser et reconstruire.
Avec des grues, des bulldozers...
Un hommage au chaos qui attire de plus en plus de visiteurs, amateurs mais aussi
experts. Et qui lui a coûté près de 2 millions d'euros. Simple
provocation ? Thierry Ehrmann parle d'uvre artistique majeure mais aussi
de véritable système de manage- ment: Car pour lui, en période
de crise, seule une certaine démarche largement inspirée de cette
philosophie du chaos permet d'avancer et d'inventer de nouvelles solutions. En
remettant en cause tous les fondamentaux, pour construire sans tabou l'avenir
sur de nouvelles bases. De quoi défier toutes les théories économiques
traditionnelles.
copyright ©2005 Nouvel Objectif Rhône-Alpes
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